samedi 29 décembre 2007

Journal de bord



Par delà les océans, comme en lointain écho à Lettre à un fantôme ... voici un extrait du Journal de bord d'un damné des mers ...


Vendredi 8 août

Ce matin la mer est calme. J’ai pu me reposer quelques heures depuis l’aube. Comme par miracle, ma cabine est restée sèche. Les livres de bord n’ont pas souffert.

J’ai affronté pendant dix jours une des pires tempêtes d’hiver que j’ai connues. Des murs d’eau se dressaient autour de moi, et les vents étaient d’une violence inouïe. Pas un instant de répit. Le Cap me souhaite toujours la bienvenue à sa façon …Le bateau a gémi et craqué de toutes part, mais il a tenu bon. Tout comme son capitaine …

Je boirais bien un verre de rhum à ma santé. Dans une autre vie, j’avais quelque chose à fêter aujourd’hui.

Dimanche 10 août

Le ciel est la réplique de l’eau. Petite houle blanche sur fond bleu.

Se tenir à la barre est un plaisir de roi. Elle aimerait cela aussi. Elle a appris à aimer la mer avec moi… Qu’elle était belle, cheveux au vent, derrière cet immense gouvernail. Comme j’aimais me tenir derrière elle, l’entourant de mes bras, posant mes mains sur les siennes, comme pour la guider et lui murmurant des secrets de marin à l’oreille, qui bientôt devenaient des mots d’amour… Elle me manque tant. Et pourtant elle est là, ange gardien invisible d’un vaisseau fantôme et d’un damné courant les océans.

Dimanche 17 août

Calme plat. Je fais les cents pas sur le pont. Je me remplis les yeux de bleu. J’aimerais dormir …Rêver d’elle …

Samedi 30 août

De l’azur pendant des jours et des jours. Et puis soudain les brouillards. Pas les brumes légères qui dansent sur l’écume des vagues certains matins de printemps, non une soupe de pois épaisse, gluante, qui collait le navire à la mer grise comme si les éléments ne voulaient plus le relâcher. Un crépuscule humide et mortuaire qui a duré six jours et six nuits.

Mais elle était là, avec son sourire lumineux, sa main apaisante sur mon front impatient. Sa présence légère a tenu tête au brouillard … m’a empêché de devenir fou …

Lundi 15 septembre

Toujours peu de vent. Je croise au large des côtes africaines ou plutôt je fais du sur-place. Si j’avais une cargaison à bord, je piafferais d’impatience dans de telles conditions de navigation … mais on ne m’attend nulle part … il n’y a que l’océan, le bateau et moi … et cet espoir irraisonné, qu’elle, elle m’attende …

Mais comment croire que je suis toujours dans son cœur et ses pensées. D’autres hommes lui font sûrement la cour, s’empressent autour d’elle, l’invitent, la désirent. J’aimerais croiser leur route, les défier, leur faire rendre gorge. J’aimerais les effacer de sa mémoire.

Seigneur, mon éternel combat avec la mer ne suffit-il pas à ma malédiction ? Faut-il encore que mon cœur et mon âme soient ravagés par la souffrance ?

Mardi 23 septembre

Un banc de dauphins m’accompagne depuis ce matin. Ils jouent, sautent, rient dans les vagues. J’imagine sa joie si elle pouvait les observer …

Dimanche 5 octobre

Les jours se suivent, tous semblables. Je me demande pour qui je tiens ce journal. Discipline stupide de marin …

Jeudi 16 octobre

Toujours rien !

J’ai passé la nuit allongé sur le pont à regarder la voute étoilée. Chacune me faisait penser à elle … si attirante … si lointaine … Quelque part juste au-dessus de moi, scintillait sa constellation, la plus brillante de l’hémisphère sud. J’avais l’impression qu’elle m’attirait, que je flottais vers elle. J’aurais du lui apprendre le ciel nocturne, ainsi nous pourrions parfois regarder les mêmes étoiles …

Dimanche 19 octobre

Si mes calculs sont exacts … et ils l’ont toujours été, j’ai franchi l’équateur aujourd’hui …

Vendredi 31 octobre

La mer grossit, des nuages menaçants viennent du large, nous allons encore essuyer un grain. Combien de temps encore ce rafiot tiendra-t-il tête aux tempêtes ? Combien de temps voudra-t-elle bien prier pour nous ?

Lundi 2 novembre

Aucun répit jusqu’à ce jour. Les vents et les vagues attaquaient de toutes parts. Les nues étaient si sombres et si basses et la pluie si violente que j’ai l’impression de sortir d’une longue nuit. Une nuit qui aurait lâché toutes ses furies. Une nuit proche de l’enfer …

Quand donc viendra la rédemption ? Quand pourrai-je la retrouver ? Pourquoi le temps a-t-il encore une importance pour le damné que je suis ?

Samedi 15 novembre

Une tortue de mer m’a accompagné pendant plusieurs heures. Quel bonheur de voir se mouvoir une créature vivante … J’aurais aimé l’attraper pour la lui offrir. Elle l’aurait relâchée bien sûr, mais j’imagine si bien son sourire en recevant ce cadeau insolite …

Dimanche 30 novembre

Je me suis réveillé avec l’impression qu’elle était là, à mes côtés. J’ai sauté sur mes pieds comme un fou, avant de réaliser que j’avais dû rêver. Mais rien n’a pu altérer ma bonne humeur. Pour la première fois depuis des mois, des années, je me sens léger, comme si l’air était plus pur, le soleil plus clair et l’océan plus bleu. Je me sens prêt à affronter tous les ouragans et tous les monstres marins … je me sens invincible …

Lundi 8 décembre

Je suis à la barre depuis le point du jour. Un jour particulier. Dans l’aurore incertaine, j’ai cru apercevoir une terre au loin. J’ai cru être la proie d’une illusion, mais deux heures plus tard la terre était bien visible, droit devant moi. J’ai une sorte de fièvre chevillée au corps. Des oiseaux accompagnent le bateau. A midi, la barre ne répondait plus et j’avançais toujours droit vers la terre. Alors un espoir insensé s’est emparé de moi. Aujourd’hui serait-il LE jour ? J’ai sorti ma plus belle chemise blanche du coffre de ma cabine et je suis allé m’installer à la proue. J’ai le vertige. La terre approche, le bateau file droit vers une anse. Je sais qu’il va s’y arrêter. Je reviens écrire ces mots dans le Livre de bord. J’y mets toute mon âme, toutes mes espérances. J’ai vu au loin, une femme en robe blanche. Elle était immobile, tournée vers le bateau. Je vais mettre la chaloupe à la mer et ramer de toutes mes forces … vers elle, vers mon amour, vers le bonheur … c’est là mon espoir …



10 commentaires:

Emma a dit…

Voilà qui est bien affaire de poete : unir par les mots amant et amante !
Un capitaine digne de sa Dame !

lady_en_balade a dit…

S'il suffisait de poésie et de mots, Emma, il n'y aurait pas d'amants malheureux ou séparés ... mais peut être pas de jolies histoires non plus ...
Merci !!!

Emma a dit…

Joliment bien répondu !

Anonyme a dit…

Quand la mer ondule son reflet de mots ,elle charme le coeur de l'abysse , de cette sombre profondeur surgit cette merveilleuse lumière qui éblouit la poèsie , celle qui s'habille d'amour..... bonne Année 2008....bise amitié

lady_en_balade a dit…

La lumière qui surgit de l'ombre ... ne l'attendons-nous pas tous ?
Merci souvienstoi et bises ...

Anonyme a dit…

MErci de nous emmener si loin, si haut, si beau, tes mots tel les félins ont la grace et la force

lady_en_balade a dit…

C'est moi qui te remercie de ta visite ici, Farid !
:-)

Anonyme a dit…

salut
ben alors un journal de bord
sympa tes écrits
bon réveillon

lady_en_balade a dit…

Merci Bunny et bonnes fêtes à toi !

Anonyme a dit…

salut
oui c'est un boulonnais sur mon blog
bonne soirée