mardi 2 septembre 2008

Larmes de sable



Larmes de sable


La plage est toujours aussi belle, le sable aussi fin et l’océan aussi bleu. La femme s’assied, adossée à la dune et laisse son regard se perdre sur les flots changeants. Le passé remonte en elle avec l’intensité des vagues sur la grève. Elle se demande pourquoi elle est revenue ici. Comme si elle avait besoin de cette douleur pour exorciser ses fantômes. Comme si elle avait besoin de cet endroit pour terminer une histoire commencée et non achevée.

Elle était venue dans ce bout de Sud-ouest quelques années auparavant. Un banal accrochage sur un rond point avait bouleversé ses vacances et sa vie. Sa petite voiture n’avait pas résisté à l’assaut d’un gros quatre-quatre. Elle s’était retrouvée choquée, désemparée et furieuse contre le conducteur responsable du naufrage de ses vacances. La voiture avait été immobilisée pour expertise et réparation pendant tout un bout de temps et elle avait inexplicablement accepté l’offre du « chauffard » de l’héberger pendant ce contretemps. Tout aussi inexplicablement, elle en était tombée totalement amoureuse. Sentiment partagé avait-elle cru. Elle avait passé des moments merveilleux avec cet homme et s’était prise à rêver d’une seconde chance dans la vie. Un reste de méfiance l’avait poussée à fuir quelques jours pour rendre visite à une amie âgée qui habitait la région, avant de revenir pour vivre une fin de vacances merveilleuse, presque magique …

Hier elle était revenue pour l’enterrement de cette amie et au lieu de rentrer chez elle, dans sa lointaine Suisse, elle avait entamé une sorte de pèlerinage. Et la voici assise sur cette plage où elle avait été si heureuse. Les larmes montent en même temps que les images, douces piquantes et insinuantes comme le sable sous ses pieds. Elle revoit chaque instant de ce jour là et quand cela fait trop mal, elle décide de remplacer les images par des points de suspension … des points de suspension lourds d’évocations et rendus immenses par le miroitement de ses pleurs et de l’eau … des points de suspension remplis d’un sourire et d’une tendresse auxquels elle n’a plus droit … des points de suspension qui contiennent une vieille maison accueillante, une chambre devenue alcôve, un piano … des points de suspension qui résistent à l’animation d’un marché, à une balade bordelaise … des points de suspension qui viennent éclater comme des bulles sur les souvenirs d’un après-midi sur cette plage …

Elle revient lentement à pieds vers le petit hôtel où elle a trouvé à se loger sans difficultés, en cette fin de saison. Les points de suspension continuent à jouer dans les gouttes de la longue douche qu’elle prend. Elle sait qu’elle n’aura pas le courage de revoir la maison … Elle repartira demain retrouver sa librairie et son pays. Lors de son dernier départ, elle était sûre que l’homme qu’elle aimait viendrait la rejoindre rapidement. Mais il n’y eut que du silence et de l’absence. Un silence assourdissant et une absence obsédante. Un vide sidéral. Nul signe de vie, nul message, un téléphone qui a sonné dans le vide, lorsqu’elle a essayé d’appeler deux fois, et aucune réponse à son unique lettre. Fidèle à sa discrétion légendaire et raide de fierté devant cette déception, elle n’a pas insisté. Mais elle n’a pas compris non plus. Pourtant elle n’arrivait pas à le détester. Elle l’aimait toujours et il lui manquait. Il serait toujours l’autre moitié de sa planète. Elle s’en était voulu de son éternelle candeur. Elle avait tenté de se convaincre qu’il s’agissait d’une blessure d’amour propre et que celle-ci n’était pas mortelle. Elle avait essayé de se dire que s’il n’avait pas voulu d’elle, c’était tant pis pour lui. Mais l’indice de confiance de son ego ne sortit pas grandi de ces petits jeux. Elle se sentait en situation d’échec. Et plus grave, elle dut s’avouer que son cœur était en lambeaux, la blessure profonde. Pendant longtemps, elle vécut comme une automate pour ne rien laisser paraître. Elle faisait son travail comme d’habitude, mais se replia sur elle-même et un voile de tristesse avait remplacé son sourire. Elle se sentait comme morte et seule sa souffrance lui rappelait que ce n’était pas vrai.

Ce soir, elle est la dernière cliente à venir manger. Le joli restaurant est presque vide, la terrasse déserte. Le garçon est aux petits soins pour cette cliente sympathique, mais triste et qui visiblement a pleuré. A chaque passage il lui demande si tout va bien, glisse une petite phrase gentille, lui demande si elle compte rester un peu dans le Bassin d’Arcachon. Elle lui répond en souriant que non et soudain, sans l’avoir prémédité elle ajoute : « Je suis revenue ici car j’y ai vécu des moments qui ont été parmi les plus heureux de ma vie ». Le garçon la regarde surpris et lui dit que c’est la seconde fois de la soirée qu’il entend cette même confidence : « Un client venu avant vous a utilisé les mêmes mots. Seulement après ces moments heureux, il n’a pas eu de chance. Il a failli perdre la vie dans un accident de la circulation. Après de nombreuses opérations, de longs séjours à l’hôpital et en rééducation il a enfin réappris à marcher et à conduire. C’est lui que vous voyez avancer doucement vers la plage, là-bas ».

Elle a l’impression que le sol s’ouvre sous ses pieds et se raccroche au bras du garçon. Avant qu’il ne s’inquiète davantage, elle le remercie d’un sourire et se met en marche vers l’homme appuyé sur une béquille qui regarde le jour s’évanouir sur l’océan. Il ne fait plus très clair et elle doit lutter contre ses larmes, mais quand l’homme se retourne, elle voit qu’il pleure et que dans sa main, il enferme une poignée de sable comme un trésor …



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours espèrer, ne jamais douter... La vie et ses mystères, ses hasards... tout est écrit quelque part sur notre route.

Bisous et merci encore pour ces magnifiques moments

lady_en_balade a dit…

Parfois c'est même écrit dans le sable ...
Merci ma Lili et bisettes