jeudi 8 mai 2008

La déesse et le lutin


La déesse et le lutin

Par une belle nuit de printemps une silhouette lumineuse descendit de l’Olympe. Une des déesses (je ne vous dirai pas laquelle) avait envie de s’éloigner du panier à crabes divin. Elle s’en éloignait même à grands pas et de fort mauvaise humeur. Elle en avait plus qu’assez de l’égocentrisme développé à l’extrême de ses collègues masculins et des disputes continuelles qui agitaient le petit monde des dieux. Elle arriva au bord de la mer et plongea voluptueusement dans les petites vagues sombres. Le spectacle était si beau, que la lune et les étoiles suspendirent leur course dans le ciel pendant un moment pour la regarder se baigner. En quittant l’Olympe, elle avait simplement pensé se cacher un moment dans l’un de ses sanctuaires, le temps de se calmer, mais maintenant elle avait soudain envie d’aller plus loin. Envie de quitter ce monde connu pour partir à l’aventure. Elle sortit de l’eau et regarda vers l’ouest …

Elle se retrouva au bord d’une autre mer, bien plus sauvage, bien plus froide, qui miroitait en gris bleu, et en vert. Le ciel était d’un azur plus pâle, l’air était chargé d’un fort parfum d’iode. La forêt qu’elle pouvait apercevoir au-delà de la lande derrière elle était d’un vert tendre, toute habillée de la beauté de ses feuilles à peine écloses. C’est vers elle qu’elle se dirigea. Quand elle y pénétra, elle tomba en admiration devant ce temple de verdure. Elle salua chaque arbre. S’enfonça dans la futaie. Elle découvrit avec bonheur une source, qui se déversait dans une sorte de vasque naturelle, et elle ne résista pas à l’envie de s’y baigner. Bien que l’eau fût fraîche, elle s’y attarda avec plaisir, jouant dans l’onde cristalline. Au bout d’un moment, elle eut l’impression d’être observée. Elle regarda un peu partout alentour, mais ne vit personne. Pourtant elle était sûre de ne pas être seule. Tout d’un coup, elle vit bouger les fougères sur sa droite et elle se matérialisa juste à cet endroit là. Un minuscule petit être vêtu de vert se tenait là et regardait avidement le bassin à travers les fougères. La déesse se pencha et c’est alors seulement que le petit bonhomme en vert se rendit compte qu’elle se trouvait là, au dessus de lui et non plus dans l’eau et il poussa un hurlement strident. Elle le cueillit doucement avant qu’il ne réussisse à s’enfuir et le souleva. Il devait mesurer au plus une vingtaine de centimètre, ne pesait presque rien, ressemblait à un petit homme en miniature avec des oreilles pointues, était ma foi fort joli garçon, mais pour l’heure totalement terrorisé. Il cessa un peu de trembler quand il se rendit compte que la main qui le soutenait était douce et que la belle femme devant lui n’avait absolument pas l’air hostile. Elle lui sourit et lui demanda gentiment s’il avait l’habitude d’épier les inconnues qui se baignaient (et si vous vous demandez par quel miracle la déesse et le petit homme aux habits couleur herbe pouvaient se comprendre, n’oubliez pas que nous sommes dans un conte et que tout est possible J ). Le petit être se redressa, retrouva un peu de sa superbe et de son insolence naturelle pour répondre crânement : « Je suis un lutin et comme tous les lutins je suis curieux. Et moi je suis tout particulièrement curieux en ce qui concerne les humains, ou plutôt les humaines même. Mais il est rare d’en rencontrer au plus profond des bois. Alors pour une fois que je pouvais observer une de ces géantes à loisir dans ma forêt, je n’allais pas me gêner. Et toute nue en plus … mon rêve ! » L’éclat de rire qui répondit à cette déclaration, le déstabilisa quelque peu, mais il n’avait plus peur du tout. De fraîche au sortir de l’eau, la main douce qui le tenait était devenue chaude et il s’y sentait étonnamment bien. La belle jeune femme en face de lui s’arrêta de rire et lui dit doucement : « Désolée, petit lutin, je ne suis pas une humaine, je suis une déesse ! » Pendant qu’elle parlait ainsi sa beauté naturelle se transformait peu à peu en quelque chose de lumineux et d’infiniment beau et intimidant et le lutin resta assis dans la main de lumière, bouche bée d’admiration. Elle reprit peu à peu une apparence normale et relevant le menton du petit bonhomme d’un doigt taquin, elle expliqua : « Et pour les déesses la nudité est une chose très naturelle, elles la portent avec autant d’élégance que les tuniques de soie fine. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre. D’ailleurs nous allons commencer dès maintenant. »

Avant d’avoir pu répliquer, le lutin se retrouva tout nu lui aussi, assis sur l’épaule de la Déesse qui se baignait de nouveau dans la vasque près de la source. Il cria de peur et de colère et se serra contre le cou de la baigneuse. Elle lui demanda moqueuse s’il criait parce qu’il était nu ou parce qu’il ne savait pas nager. Il répondit rageusement qu’il savait nager comme tous les lutins. Elle le prit alors très délicatement et le posa dans l’eau. Il adorait l’eau et oublia bientôt sa colère. Ils jouèrent un bon moment dans la vasque et quand ils sortirent de l’eau elle les sécha tous les deux d’un seul souffle tiède et très doux. Pendant qu’elle s’y employait, le lutin ne pouvait s’empêcher de regarder son grand corps parfait, et soudain il se rappela qu’il était nu aussi et s’échappa pour chercher ses petits habits verts. « Pas si vite, mon petit lutin » dit une voix près de lui, « tu as eu l’outrecuidance de jouer au voyeur, tu apprendras donc à supporter la même chose. Je pense que la leçon sera salutaire. Je te rendrai tes habits, quand je me rhabillerai moi-même. » Il eu beau bouder, menacer, crier, elle resta inflexible. Et quand elle lui rendit ses vêtements, elle murmura à son oreille : « Je t’appellerai Hero. » « Mais ce n’est pas du tout mon nom ! » hurla-t-il furieux. « D’ailleurs, je ne vais pas te le dire. Les lutins n’avouent jamais leur vrai nom, pour empêcher qu’on ne l’utilise à des fins magiques ». « Ton vrai nom, je finirai bien par le savoir, mais moi, je vais t’appeler Hero, car tu me rappelles une grande dame de là d’où je viens, elle s’appelle Hera et comme toi, elle est insolente, boudeuse, colérique, curieuse, râleuse et très jolie. Ah, j’oubliais, elle est extrêmement jalouse aussi, mais je ne sais pas encore si tu lui ressembles sur ce point … Et maintenant, j’aimerais bien connaître les tiens, car je suppose que tu n’es pas le seul de ton espèce ici. »

Subjugué Hero guida sa Déesse à travers l’enchevêtrement des fougères et des arbres centenaires vers son peuple. La nuit tombait, seuls quelques timides rais de lumière flottaient encore entre les frondaisons, quand une clairière apparut. Le lutin demanda à la Déesse de rester sous le couvert des arbres pendant qu’il avertirait les siens de sa présence. Dans l’ombre naissante, elle vit de minuscules lumières qui s’allumaient de ci de là et de menus bruissements dans les hautes herbes accompagnés de légers murmures, permettaient de deviner une activité certaine. Au bout d’un moment Hero revint la chercher. Elle le suivit belle et sereine jusqu’au milieu de la clairière et sans voir personne encore, salua à la ronde. De nouveau le phénomène lumineux se produisit et elle redevint cet être de lumière irréel de beauté qui avait tant frappé notre lutin. Dans l’obscurité tout le peuple des lutins retenait son souffle. Mais bientôt ce fut simplement une ravissante jeune femme en tunique blanche qui s’agenouilla dans l’herbe. Le plus ancien des lutins s’avança alors pour lui souhaiter la bienvenue et bientôt ce fut un défilé incessant. Chacun voulait la voir de près, la toucher, l’entendre. Fier comme Artaban, Hero s’était planté tout à côté d’elle et ne bougeait pas d’un iota, de peur de se faire prendre sa place. Finalement cette Déesse c’est lui qui l’avait trouvée. Il y eut un festin de fleurs, de baies et de miel, mais personne ne pensait vraiment à manger, il y avait trop de questions à poser, trop de choses à apprendre de part et d’autre. La soirée passa bien trop vite. Les lutins invitèrent la déesse à passer la nuit avec eux, mais elle choisit un joli petit nuage cotonneux qui passait au-dessus d’eux, le cala entre les couronnes des vieux arbres et s’y installa pour dormir. Un sourire paisible jouait sur ses lèvres, quand elle sombra dans le sommeil.

Sous elle dans la forêt, plus d’un lutin rêva d’une déesse lumineuse, cette nuit là. Mais l’un d’eux rêvait d’une naïade nue et rieuse qui se baignait avec lui.

Très loin de là, le Mont Olympe était beaucoup moins paisible. Depuis quelques heures, Zeus tempêtait en constatant la disparition d’une de ses déesses. D’abord il s’était inquiété et avait envoyé Hermès à sa recherche. Mais il revint bredouille et ni Eole, ni Helios parcourant eux aussi la terre, n’avaient trouvé la moindre trace de la fugitive. Le premier des dieux avait bien du se rendre à l’évidence : elle n’avait aucunement l’intention de revenir dans l’immédiat. Il ressentait cela comme un défi et ne décolérait pas depuis. Une bonne partie de la Grèce et du pourtour méditerranéen étaient plongés dans l’obscurité, le tonnerre roulait et la foudre s’abattait avec fracas.

Les jours suivant, la présence de la Déesse se répandit comme une traînée de poudre dans la forêt et la lande. A chacune de ses promenades, guidée par l’inévitable Hero qui ne la quittait pas d’une semelle, elle rencontrait de nouveaux lutins, mais aussi des elfes, des korrigans et … des fées. Celles-ci étaient toutes, sans exception, extraordinairement belles, extrêmement tristes et diaphanes au point d’en paraître transparentes. La déesse apprit qu’elles dépérissaient ainsi depuis que leur reine avait été enlevée par un puissant mage des contrées boréales. Elles avaient longtemps espéré sa délivrance et son retour, mais la reine avait découvert son amour pour son ravisseur et régnait à présent sur un univers de neige et de glace. Lors d’une nuit de pleine lune, quand tout le petit peuple dansait sous les rayons magiques, l’impertinent Hero, juché sur l’épaule de la Déesse, glissa à son oreille : « Comprends-tu maintenant pourquoi je trouve les humaines et toi ma Déesse infiniment plus séduisantes que ces fées dévêtues et jolies mais inconsistantes ? » Elle se tourna vers lui et lui répondit : « Je comprends surtout deux choses : la première est qu’elles sont très malheureuses et que s’il ne se passe rien, elles vont peu à peu disparaître et la seconde que tu as encore joué au voyeur, petit monstre ! » « Il y a si peu à voir » se moqua-t-il « que ça ne compte pas ! » Elle lui jeta un regard étrange et le posa ostensiblement dans l’herbe. Il en fut si surpris, que pour une fois, il resta muet.

Bien plus tard, quand le silence de la nuit se fut étendu sur la forêt, un petit lutin inquiet n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il aurait aimé se lover dans les mains chaudes et douces de sa Déesse, sa présence lumineuse lui manquait, comme rien ne lui avait jamais manqué et il se demandait encore, comment quelques mots ironiques avaient pu lui valoir cette mise à l’écart. Dans son petit coeur de lutin, il se sentait … pire il se savait … exclu, banni, exilé du cœur de sa Déesse. Elle était repartie sur son nuage sans même lui dire bonne nuit. Une idée germa alors dans son esprit. Il devait monter la voir. Maintenant. Quand il leva les yeux vers le nuage, calé entre les couronnes des arbres, il faillit renoncer devant l’énormité de la tâche. Les arbres centenaires semblaient toucher le ciel. Mais une petite voix lui disait qu’il devait y aller, qu’il pouvait y arriver. En bordure de clairière, un grand talus couvert d’herbe et plus haut, de rochers, abritait une des grottes des lutins. Quelques arbres avaient poussé tout contre. Il escalada ce talus et put ainsi atteindre les premières branches tout heureux d’avoir trouvé un moyen d’arriver en haut du tronc, qui lui semblait un obstacle insurmontable. Il commença alors à grimper lentement, cherchant la prochaine branche au clair de lune, s’agrippant, glissant, montant. C’était exténuant ! De temps en temps, il jetait un regard vers le haut, mais sous la lumière diffuse de la lune et entre les frondaisons mouvantes le nuage semblait encore bien loin. Une fois, en se redressant, il oublia d’assurer sa prise et tomba dans un grand chuintement de feuilles froissées, plusieurs branches plus bas, atterrissant juste à côté d’un hibou en chasse, qui lui assena un petit coup d’aile d’un air mécontent avant de s’envoler. Il resta assis tout étourdi pendant un moment, avant de reprendre son ascension. Au bout d’un long moment d’efforts épuisants, il toucha enfin quelque chose de très doux et se pensa arrivé, mais ce qu’il tenait à pleines mains était la queue d’un écureuil, qui dormait paisiblement tout la haut et qui maintenant criait de colère. Il eut a peine la force de s’excuser, mais reprit courage en voyant le nuage juste au dessus de lui. Il se reposa un peu. Il devait maintenant avancer avec bien plus de précautions encore, car les branches devenaient très fines, il risquait de tomber à tout moment. Enfin il sentit sous ses doigts la masse cotonneuse et légère du nuage. Mais s’il était facile d’y grimper, il était bien plus grand qu’il ne l’avait imaginé. Quand enfin il arriva sur le dessus et qu’il la vit dormir sereine et belle, il s’écroula totalement exténué et s’endormit instantanément. L’aube dessinait une première ligne laiteuse, loin vers l’est.

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