jeudi 8 mai 2008

La déesse et le lutin (suite et fin)

Quand la Déesse s’éveilla plus tard, sous la caresse des rayons de soleil, elle fut bien étonnée de voir une petite forme verte, roulée en boule dans un creux du nuage. Elle se cala confortablement dans les volutes cotonneuses et contempla attendrie, la petite silhouette endormie. Ce petit être malicieux avait pris en peu de temps beaucoup d’importance à ses yeux … peut-être même trop … A son réveil, il fut tout surpris de la trouver près de lui. Il lui fallut un petit moment pour se rappeler son ascension de la nuit et pourquoi il l’avait entreprise, mais en voyant son sourire, il décida de tout lui raconter. Elle l’écouta attentivement, sans l’interrompre. Il dit son sentiment d’abandon, son besoin irrépressible de monter la voir, son envie de se faire pardonner, sa longue et difficile montée dans la nuit, son épuisement, et malgré tout son fol espoir. Ainsi donc ce joyeux drille, ce petit être impertinent et moqueur lui montrait à la fois son cœur et son courage La Déesse émue installa doucement le petit lutin sur ses genoux et à son tour commença à parler : « Je viens d’un pays de soleil. Sur la plus haute montagne du pays, se situe la demeure des dieux. Ils sont immortels, puissants, doués, gâtés et presque tous beaux. Ils ne manquent de rien. Mais sais-tu à quoi ressemble l’Olympe ? A une cour d’école : on s’y chamaille, on s’y jalouse, on s’y bagarre. Au mieux, on y joue. Même si les dieux y habitent ensemble, ils vivent en fait chacun dans leur propre monde, un univers créé à leur mesure, à l’aune de leurs envies. Quand ces mondes interfèrent les uns avec les autres, les heurts sont inévitables. Chacun défend sa préséance. Les incidents sont nombreux. Zeus et ses frères Poséidon et Hadès se sont montrés si orgueilleux et intraitables qu’il a fallu séparer totalement leurs mondes. Zeus règne dans les cieux, Poséidon dans les océans et Hadès aux enfers. Zeus est malgré tout resté le maître des dieux et a choisi le Mont Olympe comme résidence. C’est là, que j’habitais, dans les nuages qui entourent toujours le sommet de la montagne, avec les autres dieux et déesses. Mais un soir, je suis tout simplement descendue de l’Olympe et je n’ai plus eu envie de remonter. Je suis partie d’un pas léger vers le couchant, d’abord en dansant sur les vagues de la mer, puis traversant un pays de vallons, de vergers, de champs, de rivières et de forêts, jusqu’à arriver ici au bord de l’océan. Je sais qu’on me cherche. Zeus n’est pas du genre à apprécier qu’on lui fausse compagnie. Je suis sûre qu’on doit l’entendre tonner par là-bas. Mais moi, je ne suis pas mécontente de vivre un moment parmi de paisibles lutins bucoliques, aussi insolents et farceurs soient-ils, plutôt qu’au milieu de dieux envieux, jaloux, et irascibles. »

Hero se demandait à quoi pouvaient bien ressembler ces dieux qui lui semblaient terribles et invivables. Comment sa Déesse pouvait-elle être l’une d’entre eux ? Et quels étaient ses pouvoirs ? Beaucoup de questions se pressaient dans sa petite tête, mais une grande agitation s’empara soudain de la forêt. En un clin d’œil il se retrouva assis sur l’épaule de la Déesse au milieu de la clairière, là où un groupe de petits lutins venait de déposer une petite fée évanouie qu’on apercevait à peine. Une autre fée très affaiblie pleurait assise à ses côtés. « Sans notre reine, nous allons toutes disparaître les unes après les autres » murmura-t-elle.

Cette détresse décida la Déesse à partir à la recherche du Palais du Mage dans le Grand Nord. A leur demande, elle emmena avec elle, Hero et la plus valide des fées, chacun perché sur une de ses épaules. Elle savait qu’en se déplaçant sous sa forme de déesse, elle risquait d’être découverte, mais cela n’avait plus d’importance. En sortant de la forêt, il lui sembla pendant un imperceptible moment, que là haut le char du soleil allait basculer sur terre et elle comprit que Helios l’avait vue. Elle avançait rapidement, empruntant à l’envers les chemins de la bise, pénétrant le pays de la neige et la glace, recherchant les signes d’une aura magique, qui lui indiqueraient où trouver le Mage et la Reine des Fées. Un air plus cristallin, une blancheur environnante plus irisée, lui montrèrent qu’elle prenait le bon chemin et soudain comme surgi de nulle part dans toute cette clarté, elle vit devant elle, un immense palais, scintillant comme une pierre précieuse. Elle s’arrêta un instant car elle n’avait jamais rien vu de pareil, puis s’approcha d’une monumentale porte. Elle fit un sourire d’encouragement à ses deux petits compagnons, puis frappa. Lentement la porte s’ouvrit d’elle-même. Ils traversèrent une vaste cour givrée et se retrouvèrent devant un escalier monumental en haut duquel les attendait un page vêtu de blanc. Il tenait en laisse un renard polaire. Avant d’entrer elle eut l’impression que très loin dans le ciel azur et froid, Helios lui faisait un petit clin d’œil et elle sentit une douce chaleur dans tout son corps. Le page les conduisit vers une salle somptueuse où le Mage, tout vêtu de fourrures paraissait les attendre.

Si l’apparition de la Déesse le décontenança quelque peu, il essaya de ne pas le montrer et s’adressa directement à la petite fée et au lutin : « Je sais pourquoi vous venez, mais votre démarche est inutile car votre reine a trouvé un nouveau royaume ! » « Vous devriez au moins les écouter » dit la Déesse en déposant ses deux petits compagnons devant le mage. Elle avait remarqué que la chaleur qui l’emplissait avait fondre le sol de givre sous ses pieds et elle se dirigea lentement vers la fenêtre, touchant ça et là un meuble précieux. Elle ouvrit la croisée et remarqua qu’Hélios était exactement au même endroit au dessus château. Elle lui fit un petit signe l’invitant à s’approcher sur son char. L’air s’adoucit soudain, se chargea d’une légère vapeur, comme une brume qui montait des murs de glace qui fondaient doucement quand le char du soleil grandit dans le ciel. Ayant pris la mesure de la catastrophe qui s’annonçait, le Mage inquiet lança une malédiction vers Hélios, mais seul un énorme éclat de rire lui répondit pendant que l’attelage semblait reprendre son ascension. Au même moment, la porte de la salle s’ouvrit livrant passage à la Reine des fées, toute emmitouflée de fourrures blanches qui faisaient d’elle une véritable Reine des neiges. Elle fit un geste apaisant vers le Mage et se pencha sur la petite fée transparente dont le visage rayonnait depuis son entrée. « Quelles nouvelles m’apportes-tu de notre pays ? » demanda-t-elle. Mais la petite fée ne put que dire : « Oh, majesté, il faut que vous reveniez, sinon nous allons toutes disparaître. » « Mais vous connaissez toutes parfaitement votre travail » rétorqua la Reine, « vous savez prendre soin de la nature et utiliser vos pouvoirs tout comme moi. » « Oui, mais nous avons remarqué que sans reine, nos pouvoirs diminuent, nous même nous affaiblissons, devenons de plus en plus évanescentes. Les petites fées les plus faibles sont tout simplement en train de se déliter, de se confondre petit à petit avec l’air. » répondit la fée. La reine était devenue aussi blanche que ses fourrures. Jamais elle n’aurait imaginé que le fait de rester dans le Grand Nord après être tombée amoureuse de son ravisseur pouvait mettre en danger la vie de son peuple. Elle eut un court aparté avec le Mage, puis revint vers les trois visiteurs : « Soyez nos invités pour cette journée. Demain matin je vous accompagnerai dans la Grande Forêt de l’Ouest. » La déesse s’approcha à nouveau de la fenêtre et fit signe à Hélios qu’il pouvait s’éloigner. « Qui êtes-vous ? » demanda une voix derrière elle. Elle vit que la Reine était en grande conversation avec la petite fée et Hero et fit face au Mage : « Je suis une déesse de l’Olympe et c’est par hasard que je suis arrivée dans la grande forêt. Je me suis attachée à ce petit peuple et j’aimerais bien les aider, mais je ne pourrai pas rester avec eux pour toujours. » Il resta un instant silencieux puis ajouta en regardant en direction de la reine : « Vous avez rompu notre belle harmonie en arrivant ici. Maintenant elle voudra repartir et je l’aime trop pour l’en empêcher … ». « Et pourquoi ne viendriez vous pas avec elle ? » demanda la Déesse ?

C’est ainsi que la Déesse, Hero, la petite fée, la Reine et le Mage se mirent en route. Ils arrivèrent à destination un peu avant la grande fête de Beltane et la joie des fées fut immense de revoir leur reine. Les préparatifs pour la fête furent décuplés. Toutes les petites fées se mirent à revivre, à retrouver leurs couleurs, leur entrain, leurs pouvoirs. La Reine prenait du temps pour chacune d’elle et les entraînait dans de longues promenades dans les bois et les prés. Les fleurs se mirent à fleurir dans une profusion désordonnée et joyeuse, les feuilles des arbres brillaient, le sous bois bruissait de vie. Les elfes se remirent à chanter des chansons aussi joyeuses que la danse des papillons. Seul le Mage, assis dans la clairière, semblait absent et perdu. La Déesse le voyant humble et démuni l’invita à la suivre près de la source qu’elle avait découverte en arrivant. Ils eurent une très longue conversation, surveillés jalousement dans les hautes herbes par Hero, qui ne voyait pas ce tête à tête d’un très bon œil. Et quand le Mage et la déesse se mirent à rire, il n’y tint plus et les rejoignit. Mais ce qu’il apprit amena également un sourire sur son petit visage mutin.

Le matin de Beltane, quand tout le monde était plongé fébrilement dans les préparatifs, on entendit soudain des coups de tonnerre tout proches et une forme lumineuse se matérialisa dans la clairière. Une fois la lumière dissipée, les fées, les elfes et les lutins virent un bel homme, de stature imposante, qui portait une étrange toge blanche et un éclair en or dans sa main gauche. « Je suis Zeus » dit-il d’une voix profonde « et une des déesses de notre royaume semble s’être égarée par ici ! » Nullement intimidée, la Déesse vint au-devant de lui et tout en plaisantant sur le fait que les dieux ne se perdaient jamais, elle invita Zeus à participer à la fête qui se préparait. Bon vivant, toujours prêt à la fête, et charmé par la beauté des fées et des elfes, le dieu ne se fit guère prier.

Et c’est ainsi qu’en cette soirée de printemps calme au bord de l’océan, deux dieux de l’Olympe et un mage du Grand Nord furent les invités du Petit Peuple. Les libations se succédaient, les conversations devinrent de plus en plus animées. Le plus bavard fut Hero, qui s’installa crânement à côté de Zeus et lui narra toute l’expédition vers le Grand Nord pour retrouver la Reine des Fées. Depuis le matin, on lui avait confié la délicate mission de servir de guide au maître des dieux et de répondre à tous ses désirs. Et ma foi, il s’était fort bien acquitté de ce qu’on exigeait de lui, puisque Zeus était d’excellente humeur et ne tarissait pas d’éloges sur le lutin, la forêt, l’hospitalité du petit peuple et l’océan sauvage (dans lequel il avait jeté une poignée de petit éclairs en riant et en hurlant : « Salut Poséidon ! »). Plus tard, il demanda au maître des dieux qui était cette déesse qui avait un nom ressemblant au sien : « Il paraîtrait qu’elle soit insolente, boudeuse, colérique, curieuse, râleuse et très jolie. Ah, j’oubliais, extrêmement jalouse aussi. » Zeus partit d’un énorme éclat de rire et quand il se fut calmé, s’enquit auprès de Hero d’où il connaissait aussi bien son épouse. Le lutin vira au cramoisi et chercha du regard la Déesse. Mais le maître de l’Olympe qui s’était pris d’amitié pour le petit bonhomme l’attrapa et l’élevant à hauteur de son visage lui dit : « Tu es minuscule, mais ton courage et ta gentillesse sont bien plus grands que toi. Si tu as un souhait, parle ! Je l’exaucerai ! »

Sans réfléchir une seule seconde, Hero annonça : « Je veux épouser ma déesse ! » « C’est à elle seule de décider » reprit Zeus, « mais si elle veut bien de toi, je peux te donner la taille adéquate, pour qu’elle ait un époux et non un jouet. Reviens me voir quand tu auras sa réponse. » Et pendant que Hero se mettait à la recherche de la Déesse, Zeus, intrigué par ce personnage qui venaient des glaces éternelles, plongea dans une discussion animée avec le Mage.

La voile de la nuit scintillait de millions d’étoiles et la lune pâle et ronde semblait vouloir se nicher dans la ramure des plus hauts arbres tellement elle semblait proche. La vieille forêt bruissait de mille frémissements, vibrait de toute la vie qui renaissait. Malgré la fraîcheur, la fête s’éternisait. Personne n’osait briser la magie de cette nuit. Quand lentement, le ciel commença à pâlir vers l’Orient, Zeus escorta la Reine au milieu de la clairière. Celle-ci prit alors la parole : « Voici, ce que nous avons décidé. Je serai parmi vous tous les ans, de Beltane à Samain, pendant toute la période où la nature a le plus besoin de tous nos soins. Et je repartirai dans le pays des neiges et des glaces pour le reste de l’année. La Déesse quant à elle, épousera Hero et restera avec vous pour vous aider et vous protéger quand je ne serai pas là. Zeus a accepté qu’elle partage son temps entre notre forêt qu’elle a appris à aimer et l’Olympe. Et maintenant mes amis, prenons un peu de repos.» Un tonnerre d’applaudissements salua ce petit discours et bientôt chacun se retira chez lui. Avant de rejoindre l’Olympe, Zeus fit un petit détour par la source où tout avait commencé et pointa son éclair d’or sur Hero assis dans la mousse en compagnie de sa Déesse au pied d’un immense saule pleureur. Aussitôt celui-ci se transforma en un elfe élancé et d’une grande beauté … mais il restait au fond de ses yeux, le même éclair de malice que quand il était un minuscule lutin. Content de lui-même comme un enfant, Zeus ébouriffa au passage les cheveux de la Déesse car il savait combien toutes les femmes détestent cela et que ça l’amusait beaucoup de la faire enrager un peu en échange de toute l’inquiétude qu’elle lui avait causée et sur un dernier éclat de rire, disparût dans le nuage d’orage qui l’attendait au dessus de la forêt.

Depuis, la Grande Forêt de l’Ouest continue à vivre paisiblement dans son cocon magique sous la protection de la Reine des Fées et d’une déesse en balade, qui était tombée amoureuse de ce petit coin de terre et d’un lutin irrévérencieux …

4 commentaires:

Unknown a dit…

Joli conte. On apprend pleins de choses sur le monde des dieux, des lutins et des fées.
l'aspect magique et merveilleux de l’histoire devrait plaire aux enfants.

lady_en_balade a dit…

Merci Alain d'avoir lu jusqu'au bout et d'avoir apprécié ce petit conte !

Anonyme a dit…

Bonsoir,
Un tel conte serait promesse d'une belle edition, Miss Lady-en-balade, balade de la plume, de la poesie, de l'imaginaire, du partage des dimensions lunaires....
Votre plume chante et enchante....
amicalement
Coincidence*******

===>un lien d'editeur en ligne, desfois que...sans remettre en question le confort d'un blog, son partage, et ses surprises en devenir.....
http://www.inlibroveritas.net/forum/salle7.html

lady_en_balade a dit…

Je vous remercie, Coincidence ... votre compliment me touche beaucoup !