La déesse et le lutin
Par une belle nuit de printemps une silhouette lumineuse descendit de l’Olympe. Une des déesses (je ne vous dirai pas laquelle) avait envie de s’éloigner du panier à crabes divin. Elle s’en éloignait même à grands pas et de fort mauvaise humeur. Elle en avait plus qu’assez de l’égocentrisme développé à l’extrême de ses collègues masculins et des disputes continuelles qui agitaient le petit monde des dieux. Elle arriva au bord de la mer et plongea voluptueusement dans les petites vagues sombres. Le spectacle était si beau, que la lune et les étoiles suspendirent leur course dans le ciel pendant un moment pour la regarder se baigner. En quittant l’Olympe, elle avait simplement pensé se cacher un moment dans l’un de ses sanctuaires, le temps de se calmer, mais maintenant elle avait soudain envie d’aller plus loin. Envie de quitter ce monde connu pour partir à l’aventure. Elle sortit de l’eau et regarda vers l’ouest …
Elle se retrouva au bord d’une autre mer, bien plus sauvage, bien plus froide, qui miroitait en gris bleu, et en vert. Le ciel était d’un azur plus pâle, l’air était chargé d’un fort parfum d’iode. La forêt qu’elle pouvait apercevoir au-delà de la lande derrière elle était d’un vert tendre, toute habillée de la beauté de ses feuilles à peine écloses. C’est vers elle qu’elle se dirigea. Quand elle y pénétra, elle tomba en admiration devant ce temple de verdure. Elle salua chaque arbre. S’enfonça dans la futaie. Elle découvrit avec bonheur une source, qui se déversait dans une sorte de vasque naturelle, et elle ne résista pas à l’envie de s’y baigner. Bien que l’eau fût fraîche, elle s’y attarda avec plaisir, jouant dans l’onde cristalline. Au bout d’un moment, elle eut l’impression d’être observée. Elle regarda un peu partout alentour, mais ne vit personne. Pourtant elle était sûre de ne pas être seule. Tout d’un coup, elle vit bouger les fougères sur sa droite et elle se matérialisa juste à cet endroit là. Un minuscule petit être vêtu de vert se tenait là et regardait avidement le bassin à travers les fougères. La déesse se pencha et c’est alors seulement que le petit bonhomme en vert se rendit compte qu’elle se trouvait là, au dessus de lui et non plus dans l’eau et il poussa un hurlement strident. Elle le cueillit doucement avant qu’il ne réussisse à s’enfuir et le souleva. Il devait mesurer au plus une vingtaine de centimètre, ne pesait presque rien, ressemblait à un petit homme en miniature avec des oreilles pointues, était ma foi fort joli garçon, mais pour l’heure totalement terrorisé. Il cessa un peu de trembler quand il se rendit compte que la main qui le soutenait était douce et que la belle femme devant lui n’avait absolument pas l’air hostile. Elle lui sourit et lui demanda gentiment s’il avait l’habitude d’épier les inconnues qui se baignaient (et si vous vous demandez par quel miracle la déesse et le petit homme aux habits couleur herbe pouvaient se comprendre, n’oubliez pas que nous sommes dans un conte et que tout est possible J ). Le petit être se redressa, retrouva un peu de sa superbe et de son insolence naturelle pour répondre crânement : « Je suis un lutin et comme tous les lutins je suis curieux. Et moi je suis tout particulièrement curieux en ce qui concerne les humains, ou plutôt les humaines même. Mais il est rare d’en rencontrer au plus profond des bois. Alors pour une fois que je pouvais observer une de ces géantes à loisir dans ma forêt, je n’allais pas me gêner. Et toute nue en plus … mon rêve ! » L’éclat de rire qui répondit à cette déclaration, le déstabilisa quelque peu, mais il n’avait plus peur du tout. De fraîche au sortir de l’eau, la main douce qui le tenait était devenue chaude et il s’y sentait étonnamment bien. La belle jeune femme en face de lui s’arrêta de rire et lui dit doucement : « Désolée, petit lutin, je ne suis pas une humaine, je suis une déesse ! » Pendant qu’elle parlait ainsi sa beauté naturelle se transformait peu à peu en quelque chose de lumineux et d’infiniment beau et intimidant et le lutin resta assis dans la main de lumière, bouche bée d’admiration. Elle reprit peu à peu une apparence normale et relevant le menton du petit bonhomme d’un doigt taquin, elle expliqua : « Et pour les déesses la nudité est une chose très naturelle, elles la portent avec autant d’élégance que les tuniques de soie fine. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre. D’ailleurs nous allons commencer dès maintenant. »
Avant d’avoir pu répliquer, le lutin se retrouva tout nu lui aussi, assis sur l’épaule de
Subjugué Hero guida sa Déesse à travers l’enchevêtrement des fougères et des arbres centenaires vers son peuple. La nuit tombait, seuls quelques timides rais de lumière flottaient encore entre les frondaisons, quand une clairière apparut. Le lutin demanda à
Sous elle dans la forêt, plus d’un lutin rêva d’une déesse lumineuse, cette nuit là. Mais l’un d’eux rêvait d’une naïade nue et rieuse qui se baignait avec lui.
Très loin de là, le Mont Olympe était beaucoup moins paisible. Depuis quelques heures, Zeus tempêtait en constatant la disparition d’une de ses déesses. D’abord il s’était inquiété et avait envoyé Hermès à sa recherche. Mais il revint bredouille et ni Eole, ni Helios parcourant eux aussi la terre, n’avaient trouvé la moindre trace de la fugitive. Le premier des dieux avait bien du se rendre à l’évidence : elle n’avait aucunement l’intention de revenir dans l’immédiat. Il ressentait cela comme un défi et ne décolérait pas depuis. Une bonne partie de
Les jours suivant, la présence de
Bien plus tard, quand le silence de la nuit se fut étendu sur la forêt, un petit lutin inquiet n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il aurait aimé se lover dans les mains chaudes et douces de sa Déesse, sa présence lumineuse lui manquait, comme rien ne lui avait jamais manqué et il se demandait encore, comment quelques mots ironiques avaient pu lui valoir cette mise à l’écart. Dans son petit coeur de lutin, il se sentait … pire il se savait … exclu, banni, exilé du cœur de sa Déesse. Elle était repartie sur son nuage sans même lui dire bonne nuit. Une idée germa alors dans son esprit. Il devait monter la voir. Maintenant. Quand il leva les yeux vers le nuage, calé entre les couronnes des arbres, il faillit renoncer devant l’énormité de la tâche. Les arbres centenaires semblaient toucher le ciel. Mais une petite voix lui disait qu’il devait y aller, qu’il pouvait y arriver. En bordure de clairière, un grand talus couvert d’herbe et plus haut, de rochers, abritait une des grottes des lutins. Quelques arbres avaient poussé tout contre. Il escalada ce talus et put ainsi atteindre les premières branches tout heureux d’avoir trouvé un moyen d’arriver en haut du tronc, qui lui semblait un obstacle insurmontable. Il commença alors à grimper lentement, cherchant la prochaine branche au clair de lune, s’agrippant, glissant, montant. C’était exténuant ! De temps en temps, il jetait un regard vers le haut, mais sous la lumière diffuse de la lune et entre les frondaisons mouvantes le nuage semblait encore bien loin. Une fois, en se redressant, il oublia d’assurer sa prise et tomba dans un grand chuintement de feuilles froissées, plusieurs branches plus bas, atterrissant juste à côté d’un hibou en chasse, qui lui assena un petit coup d’aile d’un air mécontent avant de s’envoler. Il resta assis tout étourdi pendant un moment, avant de reprendre son ascension. Au bout d’un long moment d’efforts épuisants, il toucha enfin quelque chose de très doux et se pensa arrivé, mais ce qu’il tenait à pleines mains était la queue d’un écureuil, qui dormait paisiblement tout la haut et qui maintenant criait de colère. Il eut a peine la force de s’excuser, mais reprit courage en voyant le nuage juste au dessus de lui. Il se reposa un peu. Il devait maintenant avancer avec bien plus de précautions encore, car les branches devenaient très fines, il risquait de tomber à tout moment. Enfin il sentit sous ses doigts la masse cotonneuse et légère du nuage. Mais s’il était facile d’y grimper, il était bien plus grand qu’il ne l’avait imaginé. Quand enfin il arriva sur le dessus et qu’il la vit dormir sereine et belle, il s’écroula totalement exténué et s’endormit instantanément. L’aube dessinait une première ligne laiteuse, loin vers l’est.
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