mardi 20 novembre 2007

On the road again




Six heures ! Comme presque toujours, mon réveil interne fonctionne parfaitement. Je me lève, me rends à la salle de bain. J’allume le plafonnier. Reflétée par la blancheur des murs, la lumière m’agresse un moment. Toilette. Habillage. Curieusement, je sais quoi mettre … pas d’hésitation. Tailleur pantalon sombre, chemisier clair. Un petit moment de réflexion pour les dessous. Ma main attrape ce qu’il a désigné un jour sous le terme de « crise cardiaque ». J’ai besoin de ces dessous là, aujourd’hui, tout comme un moment plus tard, je n’aurai aucune hésitation sur l’eau de toilette à choisir. Je les enfile, me regarde dans la grande glace, me permets une toute petite évasion. Aimerait-il glisser ses mains sous la douceur de la soie du chemisier ? Serait-il ému par les dentelles dessous ? Une petite tristesse s’insinue dans le rêve. Depuis combien de temps ma lingerie est-elle un « no man’s land » ? Depuis combien de temps, suis-je un « no man’s land » ? Ne pas réfléchir. Descendre, faire couler un café. Préparatifs.

Vers 7h30, je pars dans le petit matin. On voit les dernières étoiles. Surtout celle, qui est si brillante encore vers le sud-est, Sirius peut être ? A l’orient, le ciel se déchire en lambeaux blafards, qui grandissent. Et soudain, les premiers rayons … un jaune timide se diffuse. Puis c’est la munificence des ors et des roux, des roses et des pourpres. Contraste des nuages d’encre, des stries couleur souris, des balles de coton lactées. Les cieux déclinent les splendeurs changeantes des matins d’automne. Des lanières de brumes sont accrochées au ras du sol.

Autoroute. Les pensées tournent au rythme des roues. Un motard sombre sur une grosse cylindrée un peu vieillotte me dépasse. La petite douleur sourde qui accompagne les battements de mon cœur devient fulgurante. L’air manque. Comment vivre quand on ne sait plus rien de l’être aimé ? Comment continuer à imaginer sa vie ? Est-il toujours, lui aussi, une ombre rapide qui avale le bitume ? Impossible de refouler les craintes d’accidents qui me taraudent si souvent. Combien de chutes depuis la dernière que je connais ? Ou plus grave peut être? Mon cœur s’emballe, je dois me forcer à respirer normalement.

La brume s’épaissit. J’entre dans la première nappe de brouillard. Ah ! s’y enfoncer, comme dans une couette moelleuse. Dormir, ne pas penser. Il n’y a sûrement pas de brouillard là, où il se trouve. Si, penser. Penser à autre chose. Faire autre chose. S’oublier soi-même dans un travail inhabituel, se perdre dans les misères des autres. Fuir. Et reconnaître que c’est flouer tout le monde.

Je sors de la plaque cotonneuse comme d’un tunnel. Un vrai soleil brille. Flamboyance des arbres, vert dru et étincelant de l’herbe mouillée. Comment sont les arbres de « notre » forêt ? Les tilleuls du parc ? Comment y vit-il ? Est-il assis dans le canapé devant le feu ? Monte-t-il parfois là-haut ? Non, n’y pense pas, tu dois guetter la prochaine sortie d’autoroute.

Les kilomètres se succèdent, d’autres passages dans le brouillard, les zones industrielles, les travaux autoroutiers, les campagnes, les coquets villages avec leurs maisons presque toutes blanches et leurs toits sombres, les murs anti-bruit qui bordent ces villages et qui sont, ma foi, assez originaux : des bûches, des briques, des pierres en terrasses, des vignes vierges amarantes qui cachent des bétons. Et toujours, des camions, des camions … des camions. Plus tard, le paysage devient vallonné, même l’autoroute joue aux montagnes russes. Les brumes ont complètement disparu maintenant. Des bois, des collines, le soleil qui joue à cache-cache, avec des cumulus de tailles diverses … paysages de carte postale.

Encore plus tard, le trafic intense, les bouchons et ralentissements me forcent à me concentrer sur la route. C’est une bonne chose. J’arrive à dominer mon inquiétude, mes doutes. Pourquoi aujourd’hui ? Parfois les trajets en voiture ne sont qu’une longue rêverie douce, une proximité tendre … Et puis dans les cinquante derniers kilomètres, une chanson à la radio … une de « nos » chansons. Chamade effrénée … chut, mon cœur ! Chut !

6 commentaires:

Emma a dit…

Ce texte est d'une grande émotion de la première à la dernière ligne !!! Il nous bouleverse en nous faisant partager les pensées qui assaillent perfidement cette femme aimante inquiéte.
Pour moi c'est un petit chef-d'oeuvre !

lady_en_balade a dit…

Tu me fais rougir, Emma !
Mais je suis heureuse que ce petit récit d'un banal trajet en voiture, sache toucher et émouvoir (en tout cas te toucher et t'émouvoir...)
Merci !

Anonyme a dit…

Si le trajet est " banal "( dites vous, chère Sunny) le texte ne l'est pas ,à l évidence !!!
Peut-on le penser autobiographique ce récit ? chuttt,silence...sourire

lady_en_balade a dit…

Chère indiscrète, pensez-vous vraiment que j'aie une vie aussi palpitante ? La fiction peut être très émouvante ...
mais j'avoue aimer tisser un peu tous les fils de la vie et des rêves ...

Anonyme a dit…

"Aimerait-il glisser ses mains sous la douceur de la soie du chemisier ? Serait-il ému par les dentelles dessous ?"

Assurément ! "Emu", le mot est faible :)

idc

lady_en_balade a dit…

Sourire idc ... J'espère quand même que tu n'as pas arrêté ta lecture à la fin du premier paragraphe ...