Cindy se réveille … elle a rêvé du Prince Charmant. Elle essaie désespérément de retenir les bribes de rêve, qui telles les brumes d’Octobre s’effilochent au soleil. Elle ne bouge pas, n’ouvre pas les yeux, tente de rattraper le Prince qui chevauche vers son château et franchit la lourde porte, tout en se retournant une dernière fois. Ses bras vides se croisent sur sa poitrine, ses mains agrippent le drap en vieux lin un peu rêche qui la couvre. Il y a quelques instants, une bouche se posait sur sa bouche … il y a quelques instants, un chaud soleil dorait sa peau … il y a quelques instants …
Un hurlement déchire le silence matinal. Cette fois, le rêve est bien fini. Elle se lève d’un bond et découvre étonnée qu’elle est nue. Jamais elle n’a dormi nue dans cette maison ! Pas le temps d’y réfléchir. Elle enfile rapidement un pantalon et un tee shirt et file vers la nursery, d’où proviennent d’autres cris. Dans le couloir, une petite furie vociférante déboule dans ses jambes. Mais elle crie tellement que Cindy ne comprend pas un mot. C’est en voyant la curieuse coupe asymétrique qui encadre le petit visage furibond et la natte que l’enfant tient dans ses mains, qu’elle finit par comprendre : les insupportables jumeaux ont encore frappé. Une porte s’ouvre et une grande femme aussi revêche que belle, drapée dans un kimono de soie s’enquiert d’une voie excédée des causes de ce tapage matutinal : « Que se passe-t-il Cinderella ? Ne pouvez-vous faire tenir les enfants tranquilles ? Je me demande pourquoi vous êtes là ! » Une fois de plus Cindy maudit sa mère, de lui avoir donné ce prénom infernal à porter et maudit la belle revêche de l’appeler ainsi. Et puis, elle arrête de penser, car elle a besoin de toute son énergie pour reprendre les choses en main.
Enfin, en début d’après midi, quand Tweedle Dee et Tweedle Dum, comme elle les surnomme dans son for intérieur, sont au club de voile et que Mademoiselle accompagnée de sa belle et revêche mère sont parties chez le coiffeur, elle trouve un moment pour boire un café. Elle se demande une fois de plus, quelle idée saugrenue elle a eue d’accepter ce job pendant les vacances, décide de profiter de ses heures de liberté et de partir à la plage toute proche, pour une heure ou deux. Elle se baigne, s’installe sur sa serviette, lit un peu, puis doucement glisse vers une légère somnolence et se met à rêver …
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯
Dans une villa proche, le même matin, Igor Leprince se débat dans un sommeil agité. Il se réveille dans un lit dévasté, mais le sourire aux lèvres. En se rasant, il se surprend à fredonner « Que je t’aime » et se jette un regard étonné dans la glace. En vérifiant du plat de la main, s’il est bien rasé, il a soudain l’impression de sentir la caresse légère d’une main féminine sur sa joue et de plonger son regard dans deux yeux noisette et rieurs. L’impression est si nette, qu’il se sent pris d’un léger vertige. Cela fait si longtemps qu’il n’a plus de femme dans sa vie. Que veut dire tout cela ?
Plus tard, assis sur la terrasse qui surplombe le parc, il se perd avec délices dans les récits de voyage de Dumont d’Urville. Soudain la description d’une île le rend songeur et il se revoit dans un lagon turquoise échangeant un baiser salé avec la femme aux yeux malicieux. Il se souvient soudain de son rêve : il avait rencontré Cendrillon sur une île du Pacifique. Cendrillon était sûrement presque quadragénaire et ne faisait pas le ménage de la plage. Elle vendait de superbes coquillages aux rares touristes et un vieil homme acariâtre criait son nom et l'invectivait parfois, depuis l'une des huttes posées entre plage et forêt. Il l'avait fait violemment, mais en restant prudemment au loin, quand pris d'une envie subite, Igor avait tout simplement embrassé la jolie vendeuse de coquillages, en sortant de l'eau. Contre toute attente, celle-ci ne s'était pas fâchée, mais avait ri de bon cœur en réponse à ce baiser. Ce souvenir le fait sourire et l'attendrit. D'habitude il ne se souvient jamais de ses rêves, pour tout dire en temps ordinaire, il n'y prêterait aucune attention, même s'il s'en souvenait.
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯
Malgré l'animation de la plage, Cindy s'est endormie. Un nuage de sable, provenant d'un drap de plage qu'on secoue tout près d'elle, l'atteint au moment même où elle rêvait que perdue, en plein désert, dans une tempête de sable, un beau bédouin la sauvait. Elle se réveille en sursaut, ahurie et furieuse. Le maladroit à côté d'elle se confond en excuses. Bien qu'il soit encore tôt, elle décide de rentrer pour prendre une douche. Puis délicieusement rafraîchie, elle se pelotonne dans l'un des fauteuils de sa chambre avec un cahier et un crayon, bien décidée à jeter sur le papier quelques notes à propos de sa vie ici ... et peut être aussi à propos de ses rêves, qui l'intriguent.
Cindy est une jeune romancière connue des plus discrètes. Peu nombreux sont ceux qui connaissent son visage. Elle peut ainsi, travailler en toute quiétude sur le terrain pour préparer ses romans. En général, en plus des recherches assez pointues sur les sujets qui l'intéressent, elle se glisse souvent dans la peau de l'un ou l'autre personnage qu'elle veut faire vivre dans ses livres. C'est ainsi qu'elle a répondu à une annonce cherchant une aide efficace et polyvalente pour un séjour familial d'un mois à
Cela amuse énormément Cindy, que la belle revêche ne sache pas qui elle est, alors qu'elle la voit régulièrement glisser son dernier roman dans son sac de plage, l'après-midi. Une coupe de cheveux plus courte, une teinture plus sombre, l'absence totale de maquillage et son vrai nom suffisent à la cacher. Cindy doit à sa mère anglaise, sociologue et déjantée, qui venait de soutenir une thèse sur l'importance des contes dans la société moderne, quand elle est née, ses deux prénoms : Cinderella et Alice. Son père, italien, explorateur et absent au propre comme au figuré, lui a laissé le doux nom de Primavera. Quand elle a commencé à écrire Cindy avait choisi le pseudo d'Alice C. Brighton (ville où elle avait grandi). Aujourd'hui personne ne peut deviner, que Cinderella Primavera et Alice C. Brighton sont une seule et même personne.
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯
Le hamac se balance mollement entre deux arbres. Un léger ronflement annonce que son occupant s'est bel et bien endormi. Un livre ouvert abandonne ses pages aux caprices de la brise. Le dormeur est bien loin de la quiétude de ce jardin breton. Il se bat quelque part contre des millions de grains de sable qui le fouettent. Son chameau, d'habitude le meilleur des chameaux, irrité par la tempête lui marche lourdement sur le pied. Le bédouin ne peut retenir un juron. Ah, quel métier que de rechercher des touristes perdus dans le désert. Il espère qu'au moins la récompense sera en conséquence de ses efforts. Parfois, il envie ses ancêtres qui ne se contentaient pas d'attendre une récompense, mais qui rançonnaient les touristes sauvés du désert. Mais en attendant, sa préoccupation première est de trouver les grottes les plus proches, pour se mettre à l’abri. Il commence à se dire qu’il tourne en rond et qu’il ne marche plus dans la bonne direction, malgré son expérience du désert. Mais voilà qu’une ombre se profile dans le tournoiement de sable devant lui : les rochers. L’entrée des grottes n’est pas loin. Trois chameaux s’abritent du sable contre la paroi rocheuse. A l’intérieur, trois silhouettes suffocantes se débarrassent de leurs écharpes et de leurs vestes. L’une d’elle le regarde d’un œil interrogateur. Il lui semble avoir déjà vu ces yeux là. Mais où donc ? Le bédouin tousse … et le dormeur se réveille …
¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯
Ce soir la belle revêche reçoit. En manque de vie sociale, elle a décidé d’inviter les occupants des villas voisines pour une soirée barbecue dans le jardin. Elle a donc fortement besoin de Cindy. Pas question d’après-midi de libre ce jour là. Dès que les enfants sont casés, les ordres ont commencé à pleuvoir : « Cinderella vous passerez chez le boucher, j’ai commandé la viande. » « Cinderella prenez donc les fleurs en passant.» « Cinderella vérifiez s’il y a assez de boissons au frais. » « Cinderella venez j’ai besoin de vous à la cuisine ! » « Cinderella disposez les tables en demi-cercle autour de la piscine ! » « Cinderella faites ceci. » « Cinderella faites cela …. » « Cinderella dans une demi-heure il faudra chercher les enfants. » … Cindy n’a pas arrêté une minute. A peine a-t-elle le temps de prendre une douche rapide, d’enfiler une jolie robe et de se maquiller légèrement avant l’arrivée des invités.
L’un des invités qu’elle accueille est Igor Leprince. Ils se regardent d’un air étonné. Leurs regards restent accrochés l’un à l’autre. Cindy est très occupée pendant la soirée, mais souvent, Igor s’approche d’elle, lui sourit, ils échangent quelques mots. Enfin, quand presque tous les invités sont partis, ils trouvent le temps de s’asseoir à une table. L’air est doux. La flamme d’une bougie papillote dans le velours de la nuit. Son reflet danse dans les yeux souriants de Cindy. Igor est sous le charme.
Dans l’ombre, quelqu’un les observe … c’est la belle revêche. Elle tient à la main un long objet fin. Tout d’un coup, elle n’est plus revêche du tout, elle sourit et son sourire est chaud comme un soleil. Elle agite doucement la fine baguette dans sa main et une pluie d’étoiles se répand sur Cindy pendant qu’elle récite doucement une étrange formule. Cindy a disparu et la belle femme souriante est assise à sa place. Igor ne la quitte pas du regard … cela fait si longtemps qu’il rêve de ces yeux là …
(Sous la table, une petite Cinderella transformée en grenouille verte se dit qu’elle n’est pas encore de taille pour défier sa marraine fée et surtout que ce n’était pas une bonne idée de trouver charmant, Leprince Igor …)
2 commentaires:
Jolie histoire où le rêve et la réalité se côtoient, s’éloignent, et se rencontrent à nouveau.
Dommage que Cindy se transforme en grenouille alors qu’un prince la courtise. Mais le rêve va reprendre…
Je suis sûre que Cindy se remettra et trouvera un autre prince charmant !
:-)))
Mes amitiés, Alain !
Enregistrer un commentaire